Terre Mère


Group show OFF Art-ô-Rama 2019 Commissariat : Le Collective Les trois blockhaus de l'Escalette 1 septembre 2019 Texte : Alice Santiago C’est lors de l’exposition organisée par Le Collective dans le cadre du Off du salon Art-o-rama à Marseille que je fis connaissance avec la statue de la Liberté de Jean-Baptiste Janisset. En cette fin de mois d’août brûlant, alors que je pénétrai sur un des sites de bunkers abandonnés qui habillent les bords de mer, je l’aperçus au loin, me tournant un dos éblouissant et mystique. Surplombant la mer, tournée vers sa mère, elle regardait l’Occident. Si Jean-Baptiste Janisset n’a évidemment pas moulé l’œuvre de Bartholdi qui, elle, puissante, nous fait face depuis son Amérique, c’est dans un hameau héraultais qu’il a trouvé son bonheur : une petite réplique de la statue de la Liberté que le Musée Bartholdi de Colmar réalisa pour les célébrations du centenaire de la statue new-yorkaise, en 1987. Cette dernière partit ainsi en mer, à la proue d’un paquebot français, brandissant sa torche d’un côté, et la constitution américaine de l’autre. Alors que cette figure protectrice des marins était vouée à la noyade, le capitaine du paquebot décida de l’adopter et de la ramener dans son village natal du sud de la France. Forte de cette histoire bien occidentale, notre statue méditerranéenne s’est vue dotée d’un bouclier comprenant la mention « Pax » moulé par l’artiste sur une tombe du cimetière Saint-Pierre de Marseille, et d’un des trois singes de la sagesse, symbole asiatique dont la devise a notamment été adoptée par Gandhi, moulé sur un temple à Kyoto. À l’attribut purement chrétien qui invoque la paix en latin, Janisset associe le singe bouddhiste sourd, celui qui se couvre les oreilles pour ne pas entendre le mal et qui remplace fièrement la flamme des Lumières, devenant alors la mascotte d’une statue de la Liberté un peu punk. Alors que son ancêtre trône sur son île afin de guider les migrants européens à leur arrivée, la sculpture de Jean- Baptiste Janisset protège, le temps d’une journée, la méditerranée et ses nombreux enfants, voyageurs apeurés et plein d’espoir. Avec sa couronne colorée et sa parure aux multiples influences et croyances, elle devient une divinité protectrice de la mer, une sorte de Téthys1 nouvelle génération. Si l’artiste mixe les traditions iconographiques, religieuses, les symboles historiques ou cultuels par le biais d’un acte profanatoire, celui du moulage, il cherche surtout à faire surgir une croyance inédite, à interroger le syncrétisme comme une nouvelle dimension du sacré possible. C’est ainsi que s’incarne notre déesse-vierge-mère à Marseille, ville de tous les mixages. Son dos argenté fait référence, de façon kitsch et cheap, à l’or, que l’iconographie religieuse associe à la nature des êtres célestes, et lui octroie donc le statut de Vierge. Dans la symbolique chrétienne, la Vierge est couverte d’or car ses parures manifestent extérieurement ce qu’elle est par essence, une médiatrice. Sur ce dos brillant, on aperçoit un fœtus, moulage d’un bas-relief contemporain du métro parisien. Notre déesse-vierge est donc mère. Dans l’Antiquité, le culte de la déesse-mère apparaît en concomitance avec le développement de l’agriculture et de l’élevage en Mésopotamie, ce « pays entre les fleuves ». La déesse-mère incarne la fécondité, le cycle de la vie et de la nature, inexorablement liés à l’eau. « Peu de cultes furent aussi répandus que le culte des eaux : il n’est pas une source, pas une rivière, pas un fleuve, pas une mer, qui n’ait été considéré comme un dieu, et parmi les vertus divines qu’on leur attribuait, en première ligne, était la fécondité 2 ». La statue de la Liberté de Jean-Baptiste Janisset réunit des morceaux de civilisations et de légendes en une personnification du cycle de la vie et de l’eau, l’origine du monde. Ce ne sont plus les représentations classiques gréco-romaines qui font sa pureté mais bien la mixité qu’elle incarne à l’heure de l’anthropocène. Cette sculpture faite de plâtre et de plomb, matériau protecteur qui absorbe les ondes et résiste à la corrosion, convoque un monde occidental anciennement glorieux, aujourd’hui coupable. Déesse bienfaisante et maternelle, symbole universel de vie spirituelle, de purification ou de régénérescence, elle questionne aussi le devenir de notre planète. Avec cette œuvre, Jean-Baptiste Janisset revendique l’utopie d’un monde contemporain libre, prospère et unifié sur lequel veillerait cette jeune statue de la Liberté. 1 : Titanide, fille d’Ouranos et de Gaïa, qui épousa son frère Océan, avec lequel elle eut plus de trois mille enfants, dont tous les fleuves de la terre et les nymphes marines 2 : Pierre SAINTYVES, Les Vierges Mères et les naissances miraculeuses, Éditions le Bord de la vie, 1908, p. 42 Avec le soutiens du Fonds de dotation KATAPULT et la complicité de Point Contemporain.




Statue de la Liberté




Terre Mère Off Art-ô-Rama 2019 Organisée par Le Collective


Table d'Orientation de la Paix Off Art-ô-Rama 2019 Organisée par Le Collective