Texte : Axel Fried, Fisheye Immercive, 2025
SYNCRÉTISME FORMEL CONTRE FORMALISME-ZOMBIE : DE QUOI JEAN-BAPTISTE JANISSET EST-IL LE REMÈDE ?
https://fisheyeimmersive.com/article/syncretisme-formel-contre-formalisme-zombie-de-quoi-jean-baptiste-janisset-est-il-le-remede/
Texte : Elora Weill Engerer, Art Basel, Acquisition de la ville de Paris, 2025
Jean-Baptiste Janisset développe une sculpture spirituelle contemporaine fondée sur le moulage d’objets culturels glanés dans les lieux sacrés.
Sa pratique mêle intuition, rituels animistes, savoir-faire traditionnel et récits ésotériques.
L’œuvre s’apparente à un miroir-passage orné de {Témoins} nom donné par l’artiste aux symboles figurant sur les pourtours du miroir.
L’artiste crée une œuvre hybride entre artéfact religieux et portail de science fiction. Inspirée de Stargate (film de science-fiction daté de 1994 et série),
cette pièce interroge nos croyances contemporaines et connecte visible et invisible, dans un langage plastique unique où le sacré rencontre l’imaginaire collectif.
Texte : Eva Prouteau, Revue 303, 2024
Pour décrire la pratique de Jean-Baptiste Janisset, faisons un petit détour par le XVIIIe siècle, quand un écrivain féru d’art, Charles de Brosses, caressait le projet fou
de créer un musée qui rassemblerait les meilleurs détails des peintures du monde. C’est Daniel Arasse qui révèle l’anecdote dans un essai intitulé Le détail : il y explique que
« l’histoire de la peinture est faite aussi de ces découpages de tableaux à fin de jouissance plus efficace et concentrée. » Et cite plusieurs exemples d’œuvres incisées,
allégées d’un détail trop charmant par un chapardeur fétichiste. Ce témoignage sur la manière dont le regard découpe et dé-taille, littéralement, les œuvres suscitant
son admiration, fait écho à la pratique de l’artiste.
Jean-Baptiste Janisset parcourt inlassablement les lieux de culte et les cimetières, les chapelles funéraires et les reliquaires. Sa loupe n’est pas forcément savante,
mais son enquête demeure précise et fouillée, jamais surplombante, toujours subjective et désireuse de rendre la nuance infinie des formes de l’attachement aux objets :
pour finir, il cueille les détails qui l’émeuvent. Avec de l’argile, il moule ces reliefs choisis, chauve-souris de Marseille ou gargouille de Fontevraud, passiflore de Barcelone
ou ouroboros de Milan. Ces empreintes, il les emporte comme des trophées, négatifs de terre tendre transportés aussi délicatement que des petits gâteaux. À l’atelier,
Jean-Baptiste Janisset coule les positifs en plomb ou en alliage d’étain, les lestant d’une nouvelle matérialité, argentée et pondérable. Puis arrive la couleur, qu’il apprivoise
avec un plaisir grandissant : une gamme alchimique et irisée qui épouse les contours du métal comme pour l’adoucir et souligner ses saillances, en nuances de rose indien,
de vert turquoise et de bleu lagon.
Au fil de ces étapes, Jean-Baptiste Janisset inscrit matériellement dans l’objet un « montage de temps hétérogènes ». Ce qu’il augmente encore lorsqu’il combine les objets.
Ses installations sont des chimères aux corps éclatés dans l’espace et le temps, ex-voto syncrétiques qui traduisent un rapport poétique au réel, porté par un imaginaire qui
s’origine dans le conte, l’ésotérisme et surtout le rêve. Sur certains murs de la galerie, habillés pour l’occasion de noir mat, ces memento mori nous rappellent à d’innombrables
petites morts, chacune vectrice de changement et de métamorphose. Deux pièces imposantes intègrent un écran où de courtes animations 3D, dont l’esthétique reprend certains
codes fantasy du gaming, montrent les sculptures de Jean-Baptiste Janisset partir à l’assaut du paysage, qu’il s’agisse de l’îlot des Pendus, en face de Malmousque à Marseille,
ou du cimetière de la Miséricorde à Nantes. Des œuvres parties en promenade modélisée, errantes et rêveuses, qui à la question « Objets, avez-vous donc une âme ? »
répondent par un « OUI » définitif.
Texte : Marianne Derrien, un extrait de Celui qui navigue aux étoiles, 2022
Avec son œil errant et poétique, Jean-Baptiste Janisset parcourt depuis plusieurs années des mondes visibles et invisibles qui allient l'art au magique, à l'occulte
et à l'alchimie. Arpentant des territoires multiples, il se met à la recherche d'un patrimoine spirituel fait d'églises, de cimetières – de tous ces arts funéraires
aux décors en bas-reliefs combinant des motifs religieux ou symboliques, des végétaux ou des figures humaines. Pour ce faire, il emprunte des chemins à rebours
de toute cartographie pour puiser une force dans les symboles anciens et mystiques, entre opportunités et prises de risques, et trace petit à petit un itinéraire en
résonance avec les cycles de la vie.
D'Abomey à Marseille où il s'est installé, de Nantes à Dijon, puis d'Ajaccio à Alger en passant par Paris, Bastia, Saint-Étienne parmi tant d'autres villes, c'est un
territoire-palimpseste que l'artiste façonne au fil du temps. À travers un flux continu d'objets photographiés et de découvertes lors de ses voyages, ce sont les Témoins,
peuple d'images et d'archives habitant ce livre « cahier des sources » que l'artiste a conçu comme un carnet de bord ou un inventaire, et qui pétrifié.e.s dans le temps
guident l'artiste. Tel un explorateur qui en temps de navigation détermine sa position à l'aide de l'observation des astres selon une technique ancestrale, Jean-Baptiste Janisset,
muni de son appareil photographique ou de son téléphone portable, inscrit des points de repères pour ponctuer cette quête tant artistique que personnelle où tout communique
et où tout se transforme.
Texte : www.aqnb.com 2020
With grotto-like installation environments and metallic sculptures, Sourire aux Anges mixes uncanny religious symbolism
with a folk art sense of wonder. As observed in the press release, from the artist’s “eclectic blend of references and cults
emerges the power of collective gathering, of the ritual that connects people.”**
Texte : Marion Zilio, Révélation Emerige, 2019
Ma mère est lectrice de vies antérieurs, ce n’est certainement pas un hasard si je moule désormais des figures de cultes
ou religieuses. Pour réaliser ces empreintes, je me présente aux prêtes des paroisses ou travaille avec des interlocuteurs ou
des amis à l’étranger. J’ai ainsi rencontré le frère du Roi de Ouidah, Serigue Cheick Gueye de Touba, Kader d’Alger, et la
structure de ma résidence au Japon a fait la démarche auprès du Bonze. Il m’est aussi arrivé d’en voler ! Ce sont alors des
actes exécutés en France dans des contextes d’histoires et de politique assez mystérieux.
Ces reproductions d’effigies sont ensuite mises en scène dans l’espace d’exposition et ornementées de guirlandes lumineuses.
Je rehausse également l’arrière des pièces d’une couleur franche ce qui accentue l’effet de halo. Certains y verront l’expression
d’un kitsch profane, pour moi, il s’agit au contraire de recouvrer la trace d’un sacré via les éléments de notre culture du spectacle.
La copie, le display, les néons et les couleurs fluo sont autant de moyens qui me permettent de renouer paradoxalement avec
la valeur cultuelle, mais encore les notions de rites ou de cérémonies. C’est aussi la raison pour laquelle j’utilise des matériaux
qui se neutralisent, tels que le bronze ou le cuivre qui sont conducteurs, et le plomb qui radie les ondes.
J’aime l’idée de rassembler les stigmates de divers cultes — archaïques et modernes — dans une communion syncrétique ;
de vivre dans un monde globalisé post-industriel et de le transfigurer dans une mise en scène digne d’un cénotaphe ou d’une arche.
Il s’agit, pour moi, d’incarner des formes d’esprit. Je cherche à croiser des intentionnalités dans des réseaux de communication intermonde,
d’où probablement la présence de LED, de fils conducteurs, voire énergétiques, dans mes installations.
Lorsque je suis à proximité des statues, j’ai le sentiment d’entendre leurs murmures, mon esprit est captivé et je me plais à imaginer
leur mutation par des procédés de reproduction. C’est sans doute pourquoi j’ai ressenti l’appel de l’Afrique dès le début de mes études
aux Beaux-arts. Depuis, j’ai découvert plusieurs pays et j’ai rencontré de belles personnes ancrées dans la foi d’Allah, de Jésus,
des cultes vaudous et des esprits. Je veux certainement me confronter à des individus qui demeurent à l’écoute des arrières-mondes,
dans le respect de leurs cultes et de leurs ancêtres.
Texte : Pedro Morais, Le Quotidien de l'Art, 21 février 2019
LE SORCIER ANIMISTE
En 2015, avant la décision historique de restituer le patrimoine culturel africain aux pays colonisés, Jean-Baptiste Janisset
avait proposé un vol symbolique renversé : après avoir réalisé le moulage d’un lion sur la façade d’un monument à Nantes,
ville historiquement liée au trafic d’esclaves, il le ramène au Sénégal pour organiser une cérémonie traditionnelle de
désenvoûtement, permettant un retour de forces symboliques. Dans la culture animiste antérieure à l’Islam, un humain
pouvait être possédé par un lion, ayant ensuite besoin d’un rituel de danse pour se guérir de cette identification. Là se
situent plusieurs axes du travail de l’artiste : notre capacité à charger les objets de qualités immatérielles (ce qui définit l’art),
les cultures sensibles aux subjectivités animales (nourri par sa lecture de la philosophe Vinciane Despret), les figures féminines
de la guerrière et de la sorcière. Pour son installation à la galerie Alain Gutharc, il expose un moulage de l’emblème d’Anne de
Bretagne, où est gravé « À ma vie », et un autre d'Aline Sitoé Diatta, surnommée la « Jeanne d’Arc d’Afrique » car elle aurait
entendu des voix lui demandant d’œuvrer à l’indépendance sénégalaise. L’artiste reconnait l’importance du travail de
l'anthropologue anglais Alfred Gell : relativisant le système occidental de l’esthétique, celui-ci considère que l’objet d’art
n’existe pas en dehors d’un réseau de relations humaines changeantes et que la fascination qu’ils produisent n’est pas sans lien avec la sorcellerie.
Texte : Marilou Thiébaut, 2019
Pendant toute notre vie, nous avons contourné les monuments aux morts. Dans les jardins publics, les ronds-points,
sur la table base du salon, il y avait toujours quelque chose pour faire obstacle à notre propre trajectoire : des morts,
leur souvenir. Commémorer les grands événements, c’est planter des points de référence pour tout ce qui viendra ensuite.
Nous sommes tous des enfants de l’après : après-guerre, après-mai 68, après-11 septembre, etc. Et il en va ainsi en art,
oû l’on se voit plus facilement affublé d’un post- ou d’un néo- que décoré pour une idée originale. Les générations se succédent,
assujetties à des préfixes et au regard des aïeux héroîques.
On a assisté dans les années 1960 et 1970 à la floraison des pratiques qui rejouaient des rituels dans le champ de l’art
et s’interrogeaient sur les limites de l’existence du corps dans la société et dans le monde physique. Aujourd’hui, l’art
a fini par mettre à distance sa dimension sacrée, et en cela il refléte peut-être la frilosité de notre société à aborder la
question de la mort. Ce qui vient après, le bonheur des morts théorisé par Vinciane Despret, autrement dit leur coexistence
symbolique avec les vivants, reste souvent de l’ordre du tabou. Et pourtant, les défunts demeurent dans toutes les civilisations
l’objet du culte officiel et de célébrations patriotiques. Le corps du mort est un souvenir intouchable réduit à une image
idéale, une abstraction.
Quand l’artiste voyage, c’est précisément pour se confronter à cette organisation morale et politique de la succession des vies.
Il prend les empreintes de monuments commémoratifs, d’éléments liturgiques ou ornementaux. Il cible ses moulages pour les
tirer ensuite en plâtre ou en plomb et les assembler sur un mode subjectif, sans cohérence de provenance ou de culte. Sa propre
intuition le pousse vers le syncrétisme tandis que son enquéte le mène tantôt au Sénégal, en Corse, en Algérie ou en France. Il
en ramène l’impression que la mort fait sur les différentes cultures qu’il rencontre. Les mémoriaux – la mémoire publique –
sont son réservoir de formes et sa matière première.
Les poilus qui apparaissent sur le bas-relief en plomb Aux ancêtres (2018) sont une réplique partielle d’un monument commémoratif
de la Grande Guerre érigé dans une commune des Pays de la Loire. Il sont rassemblés là auprès de la forme d’une église et nimbés de
motifs de Croix de la Légion d’Honneur. Alors que sa démarche emprunte en partie à l’anthropologie, elle se teinte d’une ironie critique
lorsqu’elle s’oriente vers l’Histoire française et la manière dont elle s’écrit. Son œuvre, plus généralement, constate la différence de statut
de ces commémorations et de ces invocations d’une culture à l’autre. Si l’artiste est sculpteur, il est aussi observateur des différentes manières
dont le champ du métaphysique entre dans le quotidien. Son œuvre est avant tout pétrie des croyances rituels éclectiques qui, comme l’a écrit
l’éthnopsychiatre Magali Molinié, soignent les morts pour guérir les vivants, génération après génération.
Texte : Marine Relinger, 5e Révélation Emerige, 2018
Voleur, un peu, infatigable marcheur et aventurier, surtout, Jean-Baptiste Janisset parcours la France et le monde
à la recherche d’objets cultuels et patrimoniaux, de « témoins », dit-il, de ce qui fédère les espaces traversés :
leurs histoires, leurs mémoires, leurs croyances. Avec ou sans autorisation, il les badigeonne de vinamold
ou d’argile, pour en conserver les empruntes, qu’il appelle des « révélations ». Le geste est rapide, la
prise imparfaite ; « ce que ces témoins veulent bien me donner ».
De ces moules, enfin, Jean-baptiste Janisset réalise les positifs, des mues grossières, difformes. Des
« stigmates », qu’il expose ensuite en des compositions syncrétiques, pop et colorées, associant là les
pieds et un détail du mouton tirés d’un Saint Jean-Baptiste de la cathédrale de Nantes, des motifs de soleil
venant d’une église à Bastia, une tête de lion prise à Marseille, des os de mouton moulés lors de la fête de l’Aid
en Algérie (Saint Jean- Baptiste, 2018).
Des théoriciens comme Daniel Sibony ou Isy Morgensztern, en exhumant les fondements communs de religions diverses,
opèrent des rapprochements, des conciliations. Jean- Baptiste Janisset l’incarne autrement : « Je crois à tout, assure ce dernier.
Ensemble, ces sculptures écrivent une histoire, un éveil syncrétique (…) Elles portent en elles le contexte de leur production
et de leur circulation. Elles ne sont pas le résultat d’une appropriation culturelle mais d’échanges, de rencontres, dont
elles sont la matérialisation. » Au Bénin, un prêtre du Fâ intervient systématiquement pour autoriser ses prélèvements.
Au Sénégal il se prépare, dans le cadre d’un prochain projet et sur invitation d’un ami marabout, à prendre part au Magal de Touba,
qui commémore le retour d’un chef religieux exilé par les autorités coloniales françaises au début du XXe siècle.
« J’ai la volonté d’ouvrir des espaces », conclut Jean-Baptiste Janisset.
En France, il a pu le faire avec moins de précautions, et littéralement. Encore étudiant aux Beaux-Arts de Nantes, il s’est introduit
sans autorisation dans le musée des Beaux-Arts en rénovation pour y exposer son emprunte monumentale du blason de la ville,
telle une peau marquée par son passé colonial (Bonne et due forme, 2016). Dans la même ville, il a ouvert un squat devenu un
artist-run space dynamique : le Mutatio. De moins en moins pirate, de plus en plus subtil, Jean-Baptiste Janisset n’en
continue pas moins de manipuler totems. Et tabous.
Texte : Joël Riff, 63e Salon Montrouge, 2018
Jean-Baptiste Janisset s’aventure. Il aime bien marcher. Le baroudeur développe une passion pour le Sud, et
particulièrement pour ces anciens territoires coloniaux dont l’histoire offre un matériau brûlant, à l’heure
des restitutions et des repentirs.
Blasons, insignes, armoiries, macarons et autres décorations d’appartenance sont ses motifs de prédilection.
C’est une façon de pervertir les attributions, pour mieux les rapatrier, les déplacer, les replacer. L’artiste
continue à chercher sa propre manière de considérer aujourd’hui l’exotisme. Savoir être ailleurs.
Et sa production, dans une humeur revancharde, adopte des moyens de vandale en son propre pays.
Le verbe « subtiliser » atteste d’une certaine délicatesse. Même s’il confie être de moins en moins pirate,
s’approprier des chantiers, faire un tour de France à voler du matos ou squatter des institutions sont
des stratégies classiques qu’il pratique en contournant les lois, par nécessité économique mais pas seulement.
S’il aborde avec respect les cultures des autres, il tient à demeurer sauvage là où il est indigène. Son premier
moulage, il le fait au Sénégal, dans la rue, après s’être vu accorder la bénédiction de plusieurs entités spirituelles du continent.
De là, rencontre après rencontre, il évolue à travers différentes sociétés qui toutes, croient. La foi fascine.
Qu’il participe à l’Aïd el-Kebir à Alger, à une cérémonie Gaïndé à Dakar, à des funérailles traditionnelles à Bitam,
à la victoire de la Coupe d’Afrique des Nations à Yaoundé, au culte Égoun à Abomey ou à l’Assomption
de la Vierge Marie à Ajaccio, c’est la ferveur qui nourrit partout ses initiatives sculpturales.
Il façonne le métal, le plâtre et la lumière, animé par ses propres transes et chérit les alliages,
une forme de syncrétisme, parfois toxique. Il s’agit alors de se laisser envoûter par l’animisme bien incarné de Jean-Baptiste Janisset.
« Pour traiter d’un sujet douloureux, le plomb est très efficace. »
Texte : Jean-Christophe Arcos, 2018
ΚΛΕΤΗΝ ΤΕΛΕΙΟΝ (LE VOLEUR PARFAIT)
Evoquant un incendie dans le Londres du début du 19e siècle, le conférencier mis en scène par Thomas de Quincey
au début de « De l’assassinat considéré comme un des beaux arts » (1) envisage le sinistre selon une appréciation
uniquement esthétique : loin du jugement moral, un feu peut être admiré pour sa beauté, sans considération
pour le dommage qui en résulte.
Aristote parle d’un voleur parfait (κλετ?ν τ?λειον) (2) dans ce même sens – peut-être pense-t-il aussi à Prométhée,
qui déro ba la flamme aux dieux pour l’apporter à l’Humanité (3) – : pour le philosophe, suivi par Saint
Thomas d’Aquin (4) , que ce soit dans le bien ou dans le mal, fin et moyens s’accordent, mais l’art mis dans ces
derniers peut toucher la grâce.
La dextérité d’un vol à l’étalage, le sublime d’un incendie, l’éclat d’une ruse, constituent des spectacles à part
entière.
Un rapprochement s’opère d’emblée avec le travail de Jean-Baptiste Janisset : Janisset est un voleur – comme
on disait des photographes qu’ils prenaient l’âme en prenant l’image, souvenir lointain des imagos romaines (5).
Au gré de ses résidences et de ses expositions, il sonde les emblèmes profanes ou spirituels, parfois vénéneux,
autour desquels s’articulent les identités et les mémoires des communautés traversées. Il en effectue des
moulages à la volée, qu’il restitue par la suite en positif, défigurés, remodelés, désacralisés, dans l’espace de
l’art.
Jean-Baptiste Janisset surfe sur un ensemble référencé de signifiants évidés de leurs signifiés. Il a fait de
l’indifférence, du détachement, son champ d’investigation et sa méthodologie.
Indifférence au sens anagogique des fétiches, qu’il appréhende avant tout selon leur forme, les renvoyant par là
à leur réité. Indifférence également, par suite, au contexte dans lequel ils sont prélevés, puisqu’il s’attache à la
banalité de leur représentation et les réinjecte dans des milieux et des lieux qui n’ont que peu à voir avec la
sacralité. Enfin, et littéralement cette fois, détachement de l’empreinte arrachée de son modèle par le geste de
sculpture.
S’il s’agit ici d’indifférence, ce n’est pas un aveuglement aux douleurs du monde dont il faudrait soustraire un
public apathique – certes l’artiste n’a pas vocation à être guérisseur, chamane ou travailleur social, mais
convenons que le projet Gaïndé, effectué au Sénégal, a engagé Jean-Baptiste Janisset dans une critique radicale
des formes héritées de la colonisation.
Bien davantage, c’est la neutralité de l’artiste qui l’autorise à profaner sans être sacrilège, et grâce à elle qu’il
peut, sans gants, manipuler totems et tabous.
1 THOMAS DE QUINCEY, De l’assassinat considéré comme un des beaux arts, Gallimard, 2002, Paris.
2 ARISTOTE, La Métaphysique, Vrin, 1933, Paris.
3 HESIODE, Théogonie, Payot & Rivages, 1993, Paris.
4 SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, éd. du Cerf, 1984, Paris.
5 « Pline décrit l'usage de l'imago chez les anciens romains. Ces effigies étaient des masques des ancêtres, moulés
en cire, rangés dans des niches. [...] Fabriquées à partir du visage du mort par un processus d'empreinte, ce n'étaient
pas des imitations factices comme celle d'un artiste de la Renaissance, mais des images produites par adhérence,
par contact direct de la matière (le plâtre) avec la matière du visage. » in GEORGES DIDI-HUBERMAN,
Devant le temps – Histoire de l’art et anachronisme des images, Minuit, 2000, Paris.